18 nov. 2014

Gwenn et les îles

Alors voilà ce qui se passe, c'est toujours la même chose.

Un week-end se désœuvre et une Grande Ame propose «Tu veux qu'on aille à Ouessant ? »

La question est purement rhétorique, même avec les deux jambes dans le plâtre, bien sur que je veux aller à Ouessant, sur n'importe quelle île je veux bien y aller, toujours.

Donc : on va à Ouessant, avec le luxe d'y dormir, sinon ça ne sert à rien.

Et je retombe amoureuse, de cette île un peu plus que des autres, comme à chaque fois. La marche est longue : du débarcadère de Porz Ligoudou au bourg de Lampaul, par la côte nord, il y a une vingtaine de kilomètres au moins par les sentiers côtiers. Ils serpentent en bord de falaise, battus par les vents, ils sont le seul vrai bon moyen de prendre toute la dimension des lieux, à mon sens.

La météo est semi-pourrie, la lumière est donc très belle. On se mange un joli grain entre Bouyou Glaz et Pen ar Men Du, pluie horizontale et vent d'ouest, les vagues s'éclatent sur les rochers, l'horizon s'assombrit à l'est, reste clair à l'ouest. La pluie passe et reste le vent pour nous sécher.

Face à l'île de Keller (je veux vivre à Keller!), l'air est plus clair, on a même du soleil, je m'extasie sur les grottes marines où vivent les Mari Morgans, et sur l'arc en ciel sublime qui nous offre une belle arche, dont un bout plonge dans la mer. Noir derrière, soleil devant, des taches de lumière sur les eaux, les rochers, l'herbe verte presque luminescente.

On déjeune près de l'ancien fort, on refait une petite pause antipluie près de la plage de Yusin, où je voulais me baigner mais finalement non, j'ai beau marcher et m'extasier à chaque repli de côte, je suis pas en état. Dommage hein, pour une fois que j'avais pris mon maillot de bain – pour Ouessant en novembre, what else ? - j'ai tellement mal au ventre que je marche en serrant les dents, il paraît donc peu opportun d'aller tremper tout ça dans de l'eau probablement glacée. Le regret est total, à moins que le mal de ventre ne me fasse au contraire une excuse parfaite pour manquer de folie aquatique, allez savoir, j'ai pas décidé.

Le phare du Créac'h me semble soudain hyper accueillant, en plus d'être sublime. On part pour visiter l'expo, même si la façon de faire de la lumière de phare ne me fascine pas spécialement... il y a une section dédiée à la vie dans le Créac'h du temps où il n'était pas automatique, et ça en revanche, ça me passionne, savoir comment les gens vivaient là, douze adultes et trente enfants au bout du monde. Mais plus encore : dans un coin du musée, y'a l'expo sur les fouilles archéologiques de Mez-Notariou, au milieu de l'île, qu'est minuscule et très bien foutue. Ma fascination pour les gens qui s'installent au bout du monde est comblée.

Au sortir du musée, il reste la pointe de Pern à longer, sous la lumière déclinante, avec encore de jolies vagues, et pour la quarantième fois de la journée je regrette de ne pas avoir un appareil photo sur moi (le portable ne fait pas de miracles). Ça n'empêche pas la lumière d'être belle, cela dit, et le phare s'allume lorsque la nuit tombe, alors qu'on quitte les sentiers côtiers pour regagner le bourg de Lampaul.

Et donc oui à chaque fois c'est la même chose, les week-ends sont trop courts, même le mois entier passé sur l'île d'Arz il y a quelques années, il était trop court, j'aimerais y passer des semaines, parcourir chaque sentier, connaître chaque rocher, voir toutes les lumières de l'année à chaque saison sur chaque côte, me baigner dans toutes les anses, et photographier tout ça en prenant le temps de connaître intimement les lieux.
Je passe des heures à scruter les cartes à la recherche des îlots, en rêvant de tous les visiter, surtout les plus pelés, les cailloux perdus sur la mer. Il y en a un petit paquet autour de Molène et de Ouessant ! Pas un chat sur aucun d'eux, sauf... sauf que si ! Sur Quémenès, au sud de Molène, il y a une ferme, avec un couple et leurs deux enfants (fort petits). Ils cultivent des patates et des moutons, c'est le conservatoire du littoral qui les a collé là. Je trouve que c'est une idée fantastique, surtout qu'ils font également chambres d'hôtes. Leur blog me laisse rêveuse, j'ai très envie de passer outre les tarifs pour aller vivre trois jours sur place.

Corollaire inévitable, je renoue avec cette fascination et bim, je retourne voir comment on fait pour aller visiter les îles Kerguélen, 42 résidents en hiver, quinze militaires, quelques scientifiques et quatre personnes pour faire la popote aux autres. Ben c'est possible, moyennant 8600€ au départ de la Réunion, et de la place à bord du bateau qui va les ravitailler de temps à autre, escortés tout le temps par des scientifiques et à condition d'avoir les foies pour affronter la mer, manifestement bien secouée dans le secteur. Un rêve que je vais caresser encore longtemps, mais un rêve qui n'a pas dit son dernier mot (contrairement à mes velléités de gravir l'Everest qui on flanché devant l'aspect financier et mon mal d'altitude).

Ce sont les îles froides qui ont tout mon amour, les plages de sable fin et les cocotiers m'inspirent bien moins de jolies choses. Cependant, j'ai ma petite favorite parmi les îles à la con, paumées et désertes, j'ai nommé Clipperton. Située dans le Pacifique, au large du Mexique, Clipperton fait 7km², dont 2km² de terres émergées, culmine à 29m avec une altitude moyenne de 4m ; c'est l'atoll le plus isolé du monde – et il appartient à la France. Vu sa position peu enviable et son absence de ressources (composition du sol : 50% guano, 50% sable et coquillages), il a été peu occupé, sauf à certaines périodes. Par exemple, y installe une garnison d'une dizaines de soldats (accompagnés de leurs femmes) pour revendiquer sa souveraineté sur le territoire. Les résidents sont ravitaillés tous les six mois, sauf que bim ! Révolution mexicaine. Les gens de l'île sont tout simplement oubliés, plus de ravitaillement... Résultat, beaucoup meurent du scorbut et lorsqu'ils sont enfin secourus (par un bateau qui passait par hasard, et non par le Mexique qui leur avait refusé secours un an plus tôt), on ne trouve que trois femmes, une adolescente, sept enfants... et le corps du gardien de phare, qui s'était déclaré « roi de Clipperton » et aurait exercé sa terreur sur les survivant-e-s (viols et meurtres au menu). Deux des femmes l'auraient tué à coups de marteau (mon résumé est grossier et en lien vous en avez une version plus détaillée). 

En 2005 Jean-Louis Etienne et une équipe de 26 personnes y ont mené une expédition scientifique, dont on peut lire le journal dans les liens que je vous colle en bas. Fascination totale de ma part pour ces gens qui ont vécu, pour le coup, vraiment au milieu de nulle part sur une île réellement isolée – mais ils avaient Internet ! Internet et deux petits garçons de 9 mois et 3 ans qui accompagnaient leurs parents, pour quatre mois sur une vraie-île déserte, non promis, je vous assure, la lecture du journal de bord vaut le détour.

Le blog de Quémenès
Le journal de bord des visiteurs des Kerguélen de ce mois-ci
Les oubliés de Clipperton, version longue
L'expédition de Jean-Louis Etienne a Clipperton (le journal de bord, mais tout le site est intéressant)