D'où je viens

Je ne sais pas trop si, de nos jours, l'identité peut se fonder sur la terre. Faut-il "être" de quelque part ? J'ai l'impression d'être de n'importe où.
Je suis née à Bordeaux, j'ai grandi dans un petit lotissement d'une petite ville voisine. Je suis une enfant des petits bourgs, de la campagne. Mini sociétés où tout le monde se connaît, où je ne connais presque personne : je suis de ces lieux mais je ne les recherche pas pour autre chose que leur tranquillité.
Je suis de nulle part parce que j'ai suivi mes parents dans leurs déménagements, et que les nouveaux arrivants, ce sont toujours des étrangers. D'avance rebelle à l'adaptation, moi je ne connaissais personne, je ne voulais pas. On s'est moqué de mon accent du sud, qui a fini par s'effacer. Moi qui n'aime pas la chaleur, dont la peau rougit au soleil, que me reste-il de la terre de ma première décennie ? J'ai ressuscité un peu de mon ancien parler : je ne dis pas "gauche", "fantôme", "côte", ou "ta gueule" exactement comme il faudrait. Exprès, parce que.

C'est de famille, c'est géographique aussi, il y a les vignes. A présent que j'ai l'âge et peut être un meilleur palais, j'apprends à goûter le vin et à l'aimer. C'est à peu près tout : j'étais jeune en partant, et ce sont plus mes amis d'alors, ma forêt, ma maison et les plages aux rouleaux immenses que j'ai quitté, que la terre d'Aquitaine. Ah… j'aime Aliénor, aussi ^^.

La Bretagne m'a montré ses binious, son autre mer, plus froide, plus hostile mais plus nécessaire, ses toits d'ardoise, ses pierres levées ou couchées, ses tempêtes d'hiver, sa langue. Cela s'est fait presque de force, parce que je n'ai jamais, jamais demandé à y aller. Gamine butée, j'ai voulu la détester. C'est la mer qui m'a domptée. La pluie, la lumière, les crêpes, le granit, les calvaires, les légendes ont pris place en moi, tout doucement, pour ne jamais en ressortir. Cette région dont je ne voulais pas m'a faite sienne. Je ne suis pas née ici, je ne parle pas breton, ma famille n'a pas la moindre branche égarée dans les parages mais je suis bretonne : je suis de ces breizhiz a galon, bretonne de cœur.

Le cœur, c'est peut être cela : il y a un peu de la Vienne aussi, où je passais mes vacances, chez mamie. La rase campagne par excellence, dont je viens par le sang, par l'enfance, mais où je ne me suis jamais fondue totalement.
Le cœur, sans doute, puisque j'ai pu aimer l'Anjou, alors que, quand même, l'Anjou… La douceur angevine ne m'est apparue qu'en grattant bien. Et le vin y est bon. Et c'est un coin où j'ai aimé, beaucoup aimé - et grandi aussi. J'ai fini par accepter d'en être un peu, juste en quittant l'endroit. Pas de ma faute, si j'en ai malgré tout emporté des bouts dans mon sac…

Rennes voit, pour l'heure, la fin de mes marques. Lubie ? J'ai décidé en terminale que cela serait Rennes où rien d'autre l'année suivante. Je n'ai pas attendu d'être prise, cette fois-ci : comme pour conjurer le sort, je me suis offerte, volontairement ensorcelée, liée d'office aux rues pavées, aux colombages, aux cafés et à tout ce qui fait ma vie de tous les jours. Mais Rennes n'est pas la Bretagne, juste (parait il) sa capitale : Paris n'est pas la France, non plus. C'est une ville, loin de la mer, alors qu'est ce que je peux bien lui trouver ? C'est ma Bretagne que je voulais retrouver… J'y trouve ma vie, celle dans laquelle mes parents n'existent pas, celle où j'ai l'impression d'avoir tout choisi.

Je suis alors du et du sud, et de l'ouest, fille du soleil et fille du vent, enfant des rues et des champs, fée des bois et des rivages. Je suis de toutes les sols que j'ai foulés et qui m'ont touchée en retour - de nulle part, et donc, de partout.