Ils me manquent

Il m'a fallu deux jours pour revenir, deux jours chargés. Là ce qui était à faire est fait. J'ai retrouvé ceux et celles que j'aime le plus ici, mangé de bonnes choses, parlé, écouté de la musique. Je repars vendredi déjà, mais. Mais il me manque quelque chose.

Je suppose que cela passera, mais ils me manquent. Eux. Elles. Les pèlerins et pèlerines. Dans les rues de Rennes il n'y en a pas, juste moi, de nouveau déguisée en personne de tous les jours. Mes compagnons de marche, d'un jour ou de plusieurs, ils ne sont plus là, et ... oué. Ca va me passer. Je voudrais parler de chacun, chacune, en faire des portraits, peut etre plus tard ?

Comme moi ce ne sont que des gens de passage.
Johanna l'allemande m'a donné un mantra indien pour ma cheville, nous n'avons parlé qu'une heure et regretté de ne pas se revoir ensuite ; mais ensuite dès que je massais un dos de pèlerin je chantais ces mots pour la remercier. Je continuerai - le mantra et les massages.


Comme moi, pluôt des jeunes, surtout à la fin, surtout dans la tête la jeunesse. Parmi eux toute une fournée de gens passés par "mon" auberge quand j'étais immobilisée, retrouvés de loin en loin. Jérémy "El Très Fatigué", qui même si j'ai failli l'étriper trente fois, fut mon camarade de marche le plus fréquent.
Simone "Le Taciturne", italien attachant, fut probablement une de mes rencontres les plus touchantes, malgré quelque soucis de traduction simultanée italien-anglais-français (et espagnol, aussi).
Luigi au rire de dément et aux yeux de sorcier, devenant fou dès qu'on lui parlait de manger du poulpe, m'a demandé un massage en pleine nature, pendant la pause du matin.
Simon le Tailleur de Pierres faisait simplement l'aller retour de Vézelay a Vézelay, en quatre mois, dos de béton et réflexions plus ou moins convenables de la part d'un pèlerin.
Etienne, avec ses airs de gaulois (mais belge), et  son irrésistible gentillesse, son léger manque de confiance en lui.
Jeppe, plus jeune que moi, norvégien parti sur un coup de tête, avait un sac de 5kg, dont 3kg de livres, je lui ai prêté mon drap, mon savon, une serviette, une chemise... et mon oreille attentive pour ses théories fumeuses sur le monde.
Keith, ou Indigo James, un vieil hippie anglais joue du blues dès qu'il a une guitare et est devenu en route propriétaire d'un petit chien bâtard qui le suit partout.
Marie France, petit bout de femme à l'énergie incroyable, est celle qui m'a le plus aidé ; sans son sourire le jour de mon entorse je ne serais peut être pas repartie, elle m'a donné confiance et espoir, c'est elle aussi que j'ai été le plus heureuse de revoir à Santiago !
Elise est la première a avoir posé ses mains sur mon pied, elle s'est fait une entorse aussi et je ne sais pas si elle est arrivée...
Shea m'a dépannée un jour de grand besoin, elle a fini seule le chemin, sans sa copine, bléssée...
Sebastian, 11 ans, danois, parle anglais comme moi et marche comme un grand pèlerin en compagnie de sa mère, ce ptit bout d'môme m'a tout simplement éblouie par sa maturité, sa spontanéité et son intelligence.
Jean Philippe , québécois, était comme moi horrifié par tous les scouts de la fin, on n'a jamais su son boulot, il se disait tueur a gage et sa blonde, vendeur de cocaïne...
Leon a partagé avec moi le paysage en sortant de la Faba, délicieux moment de philosophage devant les montagnes au matin...

Bref, des gens chouettes. Peu de femmes, il est vrai, sans que je sache pourquoi. Juste vers la fin en effet, je trainais surtout avec des mecs. Pour le peu que je fréquente à Rennes, j'avoue que cela m'a un poil réconciliée avec eux, mais bon. En ville le type qui me regardait d'un air un poil trop appuyé et suggestif s'est quand même pris un ptit bras d'honneur. Plein d'amour et de compassion, mais quand même...

Des gens chouettes et tous différents, en origines, caractères, aspirations. J'ai pas demandé à tous pourquoi ils faisaient le camino, mais les quelques réponses étaient intéressantes, il y avait je le sais quelque chose à partager, sur ce qu'on y apprend, ce qu'on y vit, ce qu'on voit. La marche est solitude, l'étape au soir est échange, et ça j'aimais beaucoup. Toute cette simplicité et cet amour sans attaches, ces gentillesses, cela m'a touchée.

Je feuillette mes photos, et leurs sourires me manquent. Mais avec leur souvenir j'ai de quoi me chauffer tout l'hiver...