Les cycles, les coins qu'on tasse et l'accointance païenne



Les cycles sont intérieurs, ils tournent entre le sang, les pointillés, le calme, le corps qui chante, la matrice qui tire, l'humeur qui oscille et le sang à nouveau. Ils tournent entre la "normalité", les matins où sortir du lit, faire le thé, parler à des gens, croiser des inconnus,  manger, bouger, danser sont des évidences jusqu'au soir qui n'annonce qu'un lendemain ; et les matins où le jour ne se lève pas, les à-quoi-bon, les promenades dessous avec la peur qu'un jour le printemps cesse de revenir ; et les matins de printemps, inéluctablement. 


Les cycles sont extérieurs jour nuit, pluie soleil vent pluie brume soleil, petit lune grand lune petit lune pas-de-lune, floraisons culture récoltes longue nuit réveil et floraison, marrons chauds chocolats en solde glaces artisanales, fraises tomates cèpes potimarrons. 


L'intérieur-extérieurs se répondent, et les cycles spiralent plus qu'ils ne tournent en rond, sinuent souplement et apportent chacun à leur façon leur petite pierre à la route ; parfois pauvres, riches, tourmentés, niés, discrets presque timides, tonitruants, francs et sans détours, insaisissables, silencieux, vides, doux ou chargés de sens. 


Les cycles sont pour moi presque ce qu'il y a de plus important en paganerie. Le corps, l'âme, les différentes quêtes, les relations, les apprentissages, le calendrier civil, le calendrier païen, le ciel près de nous et le ciel loin de nous et la terre sous nos pieds et la mer au bout de la rue et les trains dans les gares et le tambour de la machine à laver et la musique d'ici et notre cœur, tous obéissent à des cycles, plus ou moins réguliers, prévisibles, mais tout est cycle. 


Chaque célébration qui passe, je jette un coup d’œil à la précédente, je regarde le bout de chemin, souvent il paraît très court, je fais des notes pour l'autre vue qui digère toujours en secret, j'ajoute au marécage, et parfois il en fermente une chose qui fait sens, parfois il n'en sort rien, ce n'est pas la question. C'est toujours Samhain et Beltaine qui m'accrochent le plus, les opposés de la roue, la bien-aimée nuit et la très-désirée lumière. A l'entrée dans la nuit et au retour de la lumière, je tords un peu le cou, et je regarde douze mois en arrière.


Soudain le chemin parait très long. Cette année, il me paraît immense. Il parait avoir duré plus d'un an, pris plus d'énergie et de vie qu'un an de route ne devraient pouvoir en prendre. C'est intéressant cette année, de voir comment ont abouties toutes ces choses qui auraient pu être insignifiantes, quand elles furent initiées l'an passé. Ce Beltaine éclaire le précédent, il me dit bien des choses. Il donne du sens à son prédécesseur, à ce qui m'a poussée, à ce qui a commencé, puis suivi. Il donne du sens à ce que j'ai traversé. Et du sens il m'en faut pour relier les points, assembler les mots, colmater les brèches et tasser dans les coins. 


Il est rare que je me sente intégralement à ma place, où plutôt, que je sache ce que je fous là. Il est rare également que lors du retour sur l'année, j'aie le plaisir, avec le recul, de constater en quoi j'ai changé pour le mieux. Ce Beltaine était une de ces rares fois : à la lumière intransigeante des feux, au cœur du cercle plein de générations, de croyances, de respect et de curiosité, puis à genoux face au feu, puis en allant partager les boissons, déposer les offrandes, sous le regard intransigeant des gardiens, je savais pourquoi j'étais là, je savais que c'était ma place. Elle aurait pu être parmi l'assemblée plutôt que face à elle, d'ailleurs, c'est sûrement surtout le cercle qui comptait.
J'ai écouté, à la faveur de la nuit, les échos en moi, et j'ai été contente. J'ai entendu moins de doutes, plus de confiance, plus de maîtrise, et même un tout petit peu plus d'ouverture, moins d'injonctions aliénantes, j'ai entendu l'écho d'intuitions qui se sont révélées justes. J'ai vu une version de moi améliorable, mais en train de faire ce qu'il faut pour - colmater les brèches, tasser dans les coins, mais aussi ouvrir les portes, savourer simplement les choses, déjouer les faiblesses qui me détournent. 


Et alors oui, le chemin paraît long, mais en bien, au final. Épuisant, certes, et j'ai encore un peu l'impression d'être usée, mais pas que. J'ai passé un Beltaine équilibré entre des très-proches et des nouveaux-proches. Et des moments très purs, un peu grâce à l'eau-de-vie "de la pomme ; y'en a", pour sûr, mais pas que. Juste des moments authentiques, avec chacun-e, eu de jolies discussions, de moins jolies, décortiqué les panthéons, entendu des choses qui aident à poursuivre la route. Appris à connaître un peu mieux quelques personnes qui avaient la faveur de l'autre vue, de ma façon préférée : le tête à tête non-prémédité des petites heures. Les petites heures sont rares, malheureusement, et elles filent vite, il en faudrait bien plus pour pouvoir s'entretenir ainsi avec chacun-e. 


C'est déjà fort bien, c'est déjà une réussite, c'est toujours une réussite quand on a bien pressenti les gens, leur capacité à s'accointer fructueusement, c'est extrêmement précieux de pouvoir mettre de la nourriture, de la boisson trafiquée, des barbus, des ricaneuses, des nouveaux et des anciens, tout ça au milieu de la campagne pluvieuse du plus-bel-endroit-du-monde, et de voir tous ces gens se connecter, se trouver des points communs, s'amuser, célébrer Beltaine entre païen-ne-s - pour la grande majorité ; de se déconnecter aussi du tous-les-jours, de faire comme si les moldus n'existaient même pas, l'espace d'un week-end, de vivre un peu un rêve d'une vie où ça serait aussi facile, toujours. 


Limite, que le clan ait décidé, permis ces moments, mis en place les conditions, limite ça m'aurait suffit. Voir les gens se sourire, savourer cette chance d'être entre nous, c'est parfait en soi ; et ça répond à cette tâche qui m'apparait "mienne" de presque aussi loin que cette histoire de cycles me parle, le simple rôle de créer le lieu, le moment, éventuellement de guider jusqu'à une porte les gens qui le souhaitent et de voir ce qu'ils en font. Je suis donc heureuse d'avoir participé à ces éclosions, heureuse aussi d'avoir appris de mes erreurs, su faire confiance aux gens et pris de la distance pour pouvoir savourer aussi, et pas seulement organiser. C'est aussi cela d'être bien accompagnée, et c'est une chose inestimable.

Un bon Beltaine donc, dont je ne vais pas prétendre sortir "rechargée à bloc d'énergie", puisque manger et dormir m'ont apparemment semblé moins important que rire, boire et parler, et que j'ai plus l'âge pour ces conneries ; mais dont je sors nourrie, souriante, agréablement surprise et étrangement, sereine et un peu plus sage. Ce qui n'était pas dur, on en conviendra.