Il y a des choses qui m'ont semblé attendre une éternité.
(J'ai une perception très pénible (pour moi) du temps : il passe très lentement. Un mois, c'est long. Un an, c'est très long. Deux ans ? Une éternité)
La
plus emblématique, pour moi, c'est d'avoir un chez moi. J'ai
beaucoup déménagé, je n'ai jamais aimé ça, et je pense que cela
a fondé ma perception de ce que je n'arrive pas à traduire de
l'anglais : a place I can call home.
Y'a plein de lieux qui sont,
au fond, un peu chez moi, ce sont tous ces endroits où j'ai passé
du temps agréable, ou du temps de transition entre deux
déménagements, ou qui ont été un refuge quand là où j'étais
censée être "chez moi", je n'étais finalement pas si
bien. J'ai eu quelques années assez mobiles où il était rare que
je passe plus de deux semaines sans quitter mon lit pour aller
pioncer ailleurs. Cette année est la première depuis très
longtemps où je bouge si peu d'ailleurs. Quoiqu'il en soit, tous ces
endroits où j'arrive à trouver les interrupteurs dans le noir et où
je suis assez à l'aise pour me faire un thé sans trop demander la
permission, c'est (ça a été) un peu chez moi. Mais évidemment,
surtout chez les autres.
Y'a
aussi les lieux où j'ai vécu, sans avoir de nom sur le bail, mais
assez longtemps pour avoir mes sapes dans un placard et mes épices
dans un autre. Fatalement là aussi, au bout d'un temps, tu connais
tous les interrupteurs dans le noir et puisqu'en vrai tu habites là,
c'est chez toi. J'ai investi ces lieux, par besoin, parce que j'ai
autant besoin de bouger que d'habiter, en équilibre précaire
toujours, entre le "c'est aussi chez moi" et "mais
avant tout pas chez moi". Parallèlement à la chance que je
mesure d'avoir bénéficié de cette forme magnifique d'hospitalité,
j'ai toujours senti un inconfort d'être arrivée là après, et
d'être séparée de mes affaires.
Et puis y'a les endroits pour
lesquels j'ai signé, mes vrais chez moi. Je viens de déménager,
d'emménager avec le viking, et pour la première fois depuis une
éternité (deux ans et demi ? j'ai pas compté), c'est chez moi
comme ça : avec mon nom sur le bail et mes affaires, TOUTES mes
affaires, dans l'appart. J'ai pas tant d'affaires, mais c'est
d'autant plus nul de ne pas pouvoir en profiter. Et parce que que
nous vivons ensemble depuis un peu moins d'un an, puisqu'en lui j'ai
réellement confiance, ça y est. Je me sens chez moi. Un peu de
guingois bien sûr, le temps de s'installer, de faire le bilan des
affaires (ENCORE) moisies ou trop vieilles à jeter changer nettoyer
donner, mais chez moi.
Et
ça laisse un grand vide à la place de l'inconfort et de la
frustration qu'occupait l'arrangement précédent. J'ai commencé par
le principal : établir une cuisine fonctionnelle, où tout a sa
place et où on peut circuler et écouter de la musique (et cuisiner,
quand on aura le gaz...). Le second point sera sûrement l'autel
domestique, puisque sa place s'est révélée assez naturellement
dans le grand salon.
Il y a de l'espace pour danser, dans ce
salon. Pas immense, mais assez. Il y a la place pour mettre une
grosse douzaine de personnes, là où le précédent saturait à
quatre, à condition de ne pas trop s'agiter. Recevoir des gens m'a
manqué. Il y au fond de ce salon un escalier en colimaçon qui
dessert l'étage du duplex, deux bureaux, une chambre, une salle de
bain et des chiottes. Mon bureau sera petit mais j'aurais un espace
où travailler, après un an sans plan de travail quelconque.
J'occupe le grand vide par le plaisir d'aménager les lieux, de
découvrir comment rendre l'espace agréable, en apprivoisant les
bruits de la rue (okay, c'est fichtrement bruyant, tu peux pas test
l'isolation phonique du bout du monde, mais pas entre les étages, ce
qui est déjà un plus), en apprenant les interrupteurs et en faisant
du thé.
Le
dernier volet de "chez moi", c'est... c'est plus large.
C'est pas matériel, c'est ailleurs, c'est la ville, le vécu, la
sensation de durée, de pérennité, le sentiment d'être arrivée
quelque part et que je vais y rester. Autant être honnête, la
dernière fois que j'ai ressenti ça, c'était il y a au moins cinq
ans (et finalement : des nèfles). Longtemps Rain City a été ma
terre promise à ce propos. Puis je suis venue au Bout du Monde, et
finalement, je ne me vois plus vivre à Rain, j'y ai bien assez vécu
comme ça, les rues sont trop bavardes et il n'y a pas la mer.
C'est
aussi, sûrement, le sentiment d'appartenance, de connaissance
intime. C'est assez difficile à décrire finalement : tous les lieux
qui correspondent à cela sont soit des lieux où j'ai grandi (la
Gironde et le Morbihan), soit des lieux où j'ai collé du spirituel
(Brocéliande et les Monts d'Arrée essentiellement). Je ne pourrais
retourner vivre dans les premiers et ne puis, pour le moment, habiter
dans l'un des second. Partout ailleurs, j'ai ce sentiment d'inachevé,
de ne pas avoir totalement trouvé ma place, de n'être que de
passage, qu'il y a mieux ailleurs. Et ça englobe ma relation aux
lieux, aux gens, et aux dieux. M'est avis que de ce point de vue-là,
je ne suis pas sortie du bois et que y'en a encore pour quelques
éternités d'errance avant d'avoir la tête, les pieds et les
racines alignés.
C'est
mon seizième déménagement.
Ça m'a même un peu cassée je
pense, de tant bouger, si bien que fraîchement installée, je ne puis taire la part
de moi convaincue que je vais pas rester là plus de deux, trois ans
(une éternité, donc, ce qui est déjà pas mal).
L'autre
truc que j'ai attendu une éternité, c'est de "trouver ma
voie", comme il est de bon ton de le faire à un moment de ta
vie.
Je me suis donné cette année, où j'étais à peu près
sereine niveau contraintes matérielles, pour trouver ce que j'allais
faire, plutôt que de retourner faire un taf alimentaire jusqu'à ce
que pétage de plomb s'ensuive.
Bah je l'ai pas trouvée. Et j'ai
décidé que j'en avais rien à foutre. Parce que je n'aime pas
travailler, et que je n'ai pas envie de galérer à tenter de vivre
d'une de mes passions pour des prunes. En même temps, si je veux un
chez moi, je peux oublier le RSA, alors j'ai cherché ce que je
pourrais bien faire qui me ferait pas trop chier et qui serait dans
mes cordes. On appelle ça un projet professionnel quoi.
Je
voulais : pas de clients (adieu la vente), pas d'horaires de merde
(adieu la restauration), je voulais un truc dans un bureau, où je
sais précisément ce qu'il faut faire, sanctionné par un diplôme
au dessus du bac - et donc, reprendre les études. J'ai gratté
(crié, pleuré, pesté, grogné, changé d'avis, couru les salons
d'orientation, maudit pôle emploi...) et j'ai choisi un BTS, et puis
en fait son BTS jumeau, j'ai découvert le monde merveilleux de
l'alternance qui me permet de reprendre des études sans galérer
niveau thunes.
Après, j'ai gratté (crié, pleuré, pesté,
grogné, changé d’avis, couru les zones industrielles une pile de CV
dans le sac, coupé mes cheveux bleus, passé trop d'entretiens
d'admission dans trop d'écoles, maudit pôle emploi, puis) béni la
conseillère formation au poil grâce à qui j'ai décroché trois
entretiens et un boulot au bout. Maintenant que j'ai envoyé de la
paperasse à la RH, je suppose que je peux le dire : en septembre, je
reprends le boulot, je reprends les études.
Et à la place de toute cette angoisse de ce que je vais faire ou pas de ma vie et de mon absence de revenus, je me réjouis d'aller en cours (HERMIONE BONJOUR), d'acheter un cahier et un agenda (HERMIONE TOUJOURS), de découvrir un boulot qui, s'il n'est clairement pas un truc qui m'élèvera spirituellement, correspond à mes attentes (honnêtement, c'est relativement intéressant comme mission, j'ai failli tomber sur bien pire), et de dépenser un peu d'argent sans filer d'ulcère à mon banquier.
Maintenant, y'a un autre vide à faire et qui attend aussi depuis une éternité, qui attendait qu'un toit, un métier et deux trois trucs en place, et qu'on attaquera à la rentrée, ptet même dans la joie et la bonne humeur.
Et en attendant, un ptit road trip au Danemark !