Il n'y a pas d'extrême-amont

Ca m’a frappée comme ça l’autre jour, j’étais tranquille sur les chiottes à méditer sur le non-sens de la vie quand soudain : il n’y a pas d’extrême-amont. C’est pas toujours dans les moments de gloire que la lumière se fait, et donc, désolée, mais c’était sur les chiottes.

Il n’y a pas d’extrême amont et je le sais parce que j’ai déjà fait plusieurs fois le tour. Moi mon vent c’est la nuit mais c’est pareil, tu vas comprendre.


Un jour le vent s’est levé et la première fois, je n’ai pas su d’où il venait. Il a emporté un peu de tout, le toit, les images sur les murs et puis les murs aussi, et j’ai commencé à contrer. C’est pas logique de partir contre le vent, mais tout valait mieux que de rester plantée là, de se laisser emporter par un souffle dont j’ignorais l’origine, de me laisser dévaster par les tempêtes, immobile.

J’ai contré avec plus ou moins de gloire, j’ai avalé des kilos de sable morte de rire dans des tempêtes épouvantables avant de me faire faucher par des bourrasques ridicules. J’ai reculé aussi parfois. Ou je me suis arrêtée, parce que sur la route bien sûr qu’il y a des havres, qui tiennent jusqu’au prochain ouragan. Dans les accalmies j’ai contré pour la forme, pour qu’il sache que je ne renonçais pas, pour me le rappeller aussi, et parce que le chant du vent, même à peine audible ne se laisse jamais oublier.

Au gré des tempêtes je me suis dépouillée. De l’utile et de l’inutile, du fragile, du cosmétique tout s’est envolé, je n’ai gardé que de quoi survivre, jusqu’à n’avoir que les os, jusqu’à ce que les os deviennent poreux, le vent sifflant sans relâche entre les côtes. Les os poreux et quelques mots pour le souvenir. Plus j’avançais plus je délestais et plus j’espérais que cela ait un sens. Qu’à l’origine du vent, il y ait des réponses, à toutes les questions du monde, au moins ! Sinon à quoi bon la route, le contre, les sacrifices, la porosité ?

Mais rien.
Car il n’y a pas d’extrême-amont. Au bout, ou tu crèves de solitude avec tes os poreux et tes mots qui se dissolvent, ou tu sautes et tu reprends, mais pour ça il faut du courage, et que le vent te l’accorde. J’ai sauté et repris, plus ou moins vite, j’ai parfois attendu longtemps seule en haut de la falaise, à écouter le sifflement familier du vent entre les côtes poreuses, pour voir combien de temps il était possible de s’en nourrir, combien de temps les mots pouvaient rester.
De l’autre côté, j’ai toujours pu recalcifier, puis remettre de la chair sur les os, puis de l’utile et de l’inutile, du fragile, du cosmétique. J’ai même parfois remonté le toit, les murs et les images sur les murs. 


M’enfin là je suis encore au bout, je ne sais même plus depuis combien de temps. Depuis tellement longtemps que j’ai même essayé de remonter un toit, des murs, des trucs sur les murs, mais là haut rien ne tient. Et je saute pas parce que j’ai peur de ne rebâtir que pour reprendre le contre aux premiers caprices du vent. Ou je ne saute pas parce que le vent est trop fort, aussi. Au final je ne sais plus trop, à trop rester au bout, sans les mots, on oublie tout. Sauf qu’il n’y a pas d’extrême-amont.


Commentaires

1. Le 22 oct. 2015, 07:08 par Rhalph

*Hug*
(Il n'y a pas d'extrême-amont, il n'y a que les compagnons de horde)