23 juil. 2007

Chroniques îliennes - 1

Chroniques îliennes, partie 1, l'arrivée.

 

Je suis arrivée sur cette île avec l'ombre d'une angoisse. C'est qu'on en dit des choses : sur les îliens en général, sur les bretons aussi. Quel accueil allaient-ils réserver à une fille du continent, de surcroît presque pas bretonne, puisque c'est bien connu, Rennes n'est pas en Bretagne ?

Un accueil plutôt sympathique, en fait. Des passants, il y en a ici, des gens qui viennent la journée ou quelques jours, les habitués qui viennent un mois par an, et ceux dont la résidence secondaire ouvre ses volets de temps en temps, avec les RTT. Alors une de plus ! J'ai tout de même par prudence réservé un petit mensonge : je prétends être née et avoir grandi dans le Morbihan. Demi-mensonge, cela fait tout de même huit ans que j'habite en Bretagne… Croyez-le ou pas, certains arrivent quand même à me trouver étrangère : c'est qu'Etel et Erdeven, c'est pas le Golfe du Morbihan, voyez-vous ! Esprit de paroisse…

 

Après les formalités inhérentes à ma condition de guide, me voilà seule. L'endroit n'est pas hostile. Il est plat, petit, beau. Il n'est pas de point de la côte qui offre un regard infini sur la mer comme c'est le cas à Ouessant. D'ici on voit Illur, de là l'île aux Moines, Arradon au nord, Conlleau de l'embarcadère. Les repères ne se perdent pas si facilement… L'espace n'est donc pas bouleversé, mais terre et mer toujours ensemble.

Le temps non plus : la modernité est là, merci, comme dans tout village touristique. L'île vit au rythme des bateaux, toutes les heures. Moi aussi du coup : personne n'entre dans l'église avant 11h, c'est une loi absolue. A 18h, tout le monde sort. Excursions à la journée. Les heures sonnent au clocher et j'y retrouve un goût d'Espagne, lorsque bloquée dans mon auberge je comptais les coups, faute de montre. Au soir, après le dernier bateau, restent surtout les habitants ; les sentiers côtiers sont libérés de leurs piétons et j'y lance mon vélo à la recherche du meilleur endroit pour voir le soleil se coucher.

 

Vent, pluie, soleil, nuages, gris, anthracite, bleu. Le ciel perturbe les passants. Fille de la mer je le regarde avec intérêt, et rassure les curieux : ce sont les marées et le microclimat qui commandent, Météo France n'y pourra jamais rien. J'aime voir ma jupe s'envoler quand je traîne dans le cimetière, passage obligé pour gagner l'église.

Les tombes portent souvent les mêmes noms, alignent avec dignité disparus en mer, capitaines au long cours, résistants de la seconde guerre mondiale. Les sépultures sont collées les unes aux autres, au plus près de la sainte bâtisse, pour ne pas avoir une mort trop froide. Les habitants, en rentrant du bar, traversent le cimetière et saluent parfois au passage le beau-frère ou le grand-père enterré là. Je suis à l'aise avec cette familiarité, les morts sont des voisins calmes et intéressants.

 

La première semaine, on passe du temps à être présentée, se présenter, recevoir la visite des îliens. Oui c'est moi, la guide. Oui, j'ai du monde. Si l'île me plaît ? Evidemment ! Jusqu'à la mi-août, voilà. Certains suivent ma visite sans rien dire, d'autres prennent plaisir à ajouter leur petit grain de sel quand ils en savent plus que moi. J'apprécie énormément l'apport de ces connaissances non-livresques, ces anecdotes qui rendent le lieu plus vivant et qu'aucun livre d'art ne signalerait !

Petit village, tout le monde se connaît, la vie sociale se noue au bar et la mémoire est assez vive. Cette culture locale m'intéresse beaucoup plus que la grande Histoire, pour le moment ce sont surtout des bribes de vies. A la fin, elles formeront certainement quelque chose d'assez coloré, enfin, aux couleurs d'ici…

 

Quatrième soir, je ferme "mon" église, trottine à la supérette pour acheter des bricoles, et m'arrête devant la crêperie : un groupe répète pour le concert du soir. Sous la pluie fine je m'assois et écoute jusqu'à ce qu'ils aient fini, puis discute avec eux lorsqu'ils sortent. Si je viendrais au concert ? Je ne sais pas, si c'est possible d'écouter sans réserver de table dans la salle, oui.

Pluie pas fine du tout, j'entre dans la crêperie pleine de gens, pour faire juste deux trois photos. Le concert commence, fait naître Espagne, Balkans, Amérique du Sud, soleil et danses imaginées entre les quatre murs ; dehors il pleut à verse et dedans c'est l'été. Enchantée je suis. La deuxième partie de la soirée est encore plus agréable, je la finis à chanter et danser avec un pirate du coin ; danser danser ! Avec cette musique on se croirait dans Transylvania… Lorsque les choses se calment, je discute avec ceux qui passent, qui ont du mal à croire que je suis la guide de l'église. Mais si, même un verre de gnôle à la main ! Rencontres intéressantes, que les jours suivant je retrouverais dans les bars. En attendant, il est deux heures du matin, chacun regagne ses pénates. Pour ma part, je traverse le cimetière dont les croix projettent de sinistres ombres sur la façade de l'église… je n'ai personne à saluer, mais cette fois oui, je suis bien arrivée.

(y'a le net au bar mais j'ai pas l'intention de passer mes soirées au bar, justement... pas mon genre ^^)(on y croit)

13 juil. 2007

Allées et venues

Bon, on recommence et cette fois on ferme pas Firefox bêtement.

Je disais donc : les photos de Compostelle, ici :

Photos du Camino

Argentique numérisé. J'ai pris grand plaisir à les faire, la qualité est bien meilleure sur papier. Excusez les taches et les bandes noires, mais j'y peux pas grand chose. J'ai pas non plus le temps de faire les légendes, donc faudra imaginer. Quant aux gens, suffit de savoir que je n'en prends presque jamais en photo, alors ceux qui sont dessus, vui, ils comptent ^^. Bonne balade...

Or donc, a 7h45 ce jour je prends le train avec mon vélo et 20kg de bagages - soient 40kg de chargement pour ce lieu :

Auquel on n'accède pas en train, mais en bateau, puisque c'est l'île où je vais bosser comme guide du 15 juillet au 15 août. Le 16, Paris, le 17 avion, le 18 New Delhi !

Donc oui ces quelques jours de passage à Rennes sont chargés. Entre les sacs à faire (donc pas commencés bien sûr), les livres à rendre, acheter, emporter, les listes de choses à ne pas oublier, les abonnements pour le théâtre et l'opéra à choisir, les photos à classer, le linge à laver, ranger, choisir, pfiou... je soufflerai sur mon île !

Le pire, ce sont les formalités médicales. Autant l'Espagne, c'est pas trop dangereux (mais méfiez vous un peu de l'eau, j'ai l'impression que des fois elle craint un peu), autant l'Inde c'est... vaccins. Je suis phobique des piqûres et j'en ai mal dormi toute la nuit. On dira que le vaccin, quand il est à 60€ non remboursé, il fait mal avant d'être injecté quoi... J'ai pris les ptit machins homéopathiques qui me calment pedant les exams, et mon courage a deux mains, et j'y suis allée. Seule pour la première fois de ma vie, me faire piquer. On dira que le camino m'a endurcie, cette fois y'a pas eu besoin de me courir après et de m'attacher à la table en se mettant a six pour maitriser mes mouvements désordonnés. Ca c'est fait, qu'on me parle plus de seringue jusqu'en 2008.
Pis y'a le palud aussi - mousson = eau = humidité = moustiques. 40€ non remboursés. Voilà voilà.... bon ben je sais pourquoi je vais bosser maintenant, remarquez.
Alors bien sur, le paracétamol, les trucs contre les vomissements, la diarrhée et les antibios, c'est remboursé. En même temps c'est pas cher, donc logique. Je les déteste.

Là je suis handicapée du bras droit parce que le vaccin il fait mal. Normal. Je suis gauchère, on m'aura pas deux fois comme avec le tétanos qui m'avait empêché d'écrire deux jours, grumpf.

Bref, je râle ^^. Mais j'ai aussi découvert une crêperie de la mort qui tue et un bar nouveau fort chouette le temps du retour. Je sais que l'accueil sur l'île sera chouette, ma responsable a l'air adorable et le maire de se mettre en quatre, et mon prof de contes y passe ses vacances. Ma chiwie travaille sur le continent, juste sur la côte, on pourra sûrement se faire coucou du rivage. Préparer tous ces départs, ces retours, ces déplacement, me rend fébrile et joyeuse, débordée et anxieuse, mais je ne m'ennuie pas.

Voilà... tard et des choses à faire, donc j'arrête mon racontage ici. Si on survit à l'Inde, retour le 21 septembre. Mais il y aura un blog pour l'Inde, je passera donner l'adresse ^^.

*file*

12 juil. 2007

Ils me manquent

Il m'a fallu deux jours pour revenir, deux jours chargés. Là ce qui était à faire est fait. J'ai retrouvé ceux et celles que j'aime le plus ici, mangé de bonnes choses, parlé, écouté de la musique. Je repars vendredi déjà, mais. Mais il me manque quelque chose.

Je suppose que cela passera, mais ils me manquent. Eux. Elles. Les pèlerins et pèlerines. Dans les rues de Rennes il n'y en a pas, juste moi, de nouveau déguisée en personne de tous les jours. Mes compagnons de marche, d'un jour ou de plusieurs, ils ne sont plus là, et ... oué. Ca va me passer. Je voudrais parler de chacun, chacune, en faire des portraits, peut etre plus tard ?

Comme moi ce ne sont que des gens de passage.
Johanna l'allemande m'a donné un mantra indien pour ma cheville, nous n'avons parlé qu'une heure et regretté de ne pas se revoir ensuite ; mais ensuite dès que je massais un dos de pèlerin je chantais ces mots pour la remercier. Je continuerai - le mantra et les massages.


Comme moi, pluôt des jeunes, surtout à la fin, surtout dans la tête la jeunesse. Parmi eux toute une fournée de gens passés par "mon" auberge quand j'étais immobilisée, retrouvés de loin en loin. Jérémy "El Très Fatigué", qui même si j'ai failli l'étriper trente fois, fut mon camarade de marche le plus fréquent.
Simone "Le Taciturne", italien attachant, fut probablement une de mes rencontres les plus touchantes, malgré quelque soucis de traduction simultanée italien-anglais-français (et espagnol, aussi).
Luigi au rire de dément et aux yeux de sorcier, devenant fou dès qu'on lui parlait de manger du poulpe, m'a demandé un massage en pleine nature, pendant la pause du matin.
Simon le Tailleur de Pierres faisait simplement l'aller retour de Vézelay a Vézelay, en quatre mois, dos de béton et réflexions plus ou moins convenables de la part d'un pèlerin.
Etienne, avec ses airs de gaulois (mais belge), et  son irrésistible gentillesse, son léger manque de confiance en lui.
Jeppe, plus jeune que moi, norvégien parti sur un coup de tête, avait un sac de 5kg, dont 3kg de livres, je lui ai prêté mon drap, mon savon, une serviette, une chemise... et mon oreille attentive pour ses théories fumeuses sur le monde.
Keith, ou Indigo James, un vieil hippie anglais joue du blues dès qu'il a une guitare et est devenu en route propriétaire d'un petit chien bâtard qui le suit partout.
Marie France, petit bout de femme à l'énergie incroyable, est celle qui m'a le plus aidé ; sans son sourire le jour de mon entorse je ne serais peut être pas repartie, elle m'a donné confiance et espoir, c'est elle aussi que j'ai été le plus heureuse de revoir à Santiago !
Elise est la première a avoir posé ses mains sur mon pied, elle s'est fait une entorse aussi et je ne sais pas si elle est arrivée...
Shea m'a dépannée un jour de grand besoin, elle a fini seule le chemin, sans sa copine, bléssée...
Sebastian, 11 ans, danois, parle anglais comme moi et marche comme un grand pèlerin en compagnie de sa mère, ce ptit bout d'môme m'a tout simplement éblouie par sa maturité, sa spontanéité et son intelligence.
Jean Philippe , québécois, était comme moi horrifié par tous les scouts de la fin, on n'a jamais su son boulot, il se disait tueur a gage et sa blonde, vendeur de cocaïne...
Leon a partagé avec moi le paysage en sortant de la Faba, délicieux moment de philosophage devant les montagnes au matin...

Bref, des gens chouettes. Peu de femmes, il est vrai, sans que je sache pourquoi. Juste vers la fin en effet, je trainais surtout avec des mecs. Pour le peu que je fréquente à Rennes, j'avoue que cela m'a un poil réconciliée avec eux, mais bon. En ville le type qui me regardait d'un air un poil trop appuyé et suggestif s'est quand même pris un ptit bras d'honneur. Plein d'amour et de compassion, mais quand même...

Des gens chouettes et tous différents, en origines, caractères, aspirations. J'ai pas demandé à tous pourquoi ils faisaient le camino, mais les quelques réponses étaient intéressantes, il y avait je le sais quelque chose à partager, sur ce qu'on y apprend, ce qu'on y vit, ce qu'on voit. La marche est solitude, l'étape au soir est échange, et ça j'aimais beaucoup. Toute cette simplicité et cet amour sans attaches, ces gentillesses, cela m'a touchée.

Je feuillette mes photos, et leurs sourires me manquent. Mais avec leur souvenir j'ai de quoi me chauffer tout l'hiver...

10 juil. 2007

De retour...

Me voilà de retour. Que dire ? Par où commencer ? Pfffffioulala. Je suis même pas encore bien posée moi...

Mais mettons. Le retour s'est bien passé, sur les 24h de train seules deux m'ont semblées longues : Paris Rennes, parce que c'étaient les dernières. A la gare ma chère et tendre et le Muh m'attendaient, puis mes parents ont débarqué, j'ai mangé, parlé, fait tirer mes photos, parlé parlé parlé parlé parlé, souri et raconté, raconté. Pas rangé mes affaires, pas pris de douche, juste changé ces vêtements qui n'avaient pas quitté mes épaules depuis un mois. Ouf.

Dormi, peu. Redebout, parents, parents partis quelques courses. Je suis crevée mais je n'ai pas envie de me poser, car je suis heureuse, heureuse ^^. Alors je cours partout. Je repars vendredi pour prendre mes quartiers sur une ile où je serai guide pour mes amis les touristes. J'ai plein de choses à faire avant, et en même temps si peu... Bref, je cours parce que je marche plus.

Ce fut un voyage assez fantastique, beau, humainement riche, psychologiquement rude certains jours, spirituellement planant, physiquement intéressant.

J'ai fait des rencontres, des photos (argentiques, c'est ca la nouveauté),
j'ai vu des paysages inimaginables, des levers de soleil qui valaient la peine de se lever,
j'ai marché dans la boue, la poussière, la terre et la brume, il m'a plu dessus, j'ai été malade, j'ai bu du vin ptet un peu trop, 
rencontré trop de gens pour les résumer,
visité des cathédrales splendides, dormi dans des paradis et des bouges, pris des douches froides,
j'ai chanté sous la pluie pieds nus sur le bitume,
mangé des pâtes cuisinées par des italiens,
chanté tous les jours le bonheur d'être en marche, ai redécouvert le pouvoir extatique de la musique,
j'ai pleuré de joie à : Burgos, San Juan de Ortega, Hornillos, Boadilla, et surtout a Santiago, j'ai pleuré de peine à Boadilla et Santiago aussi...
J'ai appris, désappris, tissé des liens et perdu des contacts, ramené des adresses mails d'un peu partout,
j'ai réveillé certains trucs qui dormaient et retrouvé d'autres choses perdues, je pense, entre deux lancers de lacrymos dans les rues de Rennes,
j'ai perdu mon chapeau, une paire de chaussettes et un mouchoir, j'ai trouvé 10 centimes entre deux pavés,
j'ai beaucoup, beaucoup reçu et un peu tenté de donner mais jamais assez ?

J'ai aimé la plupart des instants de ce voyage. J'en ramène assez d'Amour et de joie pour planer quelques jours encore, il faudrait voir mon sourire...
Ce chemin fut bien meilleur que l'an passé. Notamment côté rencontres... j'ai même trouvé des gens qui parlent aux arbres, je me sentirais moins seule à présent !

Voilà. Difficile de résumer, lister, raconter ça comme ça. Mon carnet de voyage est plein de choses plus ou moins relisables, plein de tout ce qui s'est passé, choses à la fois sans importance et infiniment signifiantes pour moi. Mes photos sont un bonheur à voir, revoir. Je les aurais demain en numérisé, j'en posterai si vous voulez....

C'est surement la premiere fois que je reviens si vite enthousiaste d'un voyage pourtant pas follement reposant. Le dernier jour, quand j'étais entre mon rhume, ma fatigue accumulée, mon angoisse d'arriver, ma gastro galopante, mes pieds en phase terminale de rébellion contre mes jambes, j'ai fini par me dire que prétendre y arriver "même a genoux", comme je l'avais évoqué, risquait bien d'arriver. Ma joie devant la cathédrale en a été décuplée, et mon corps lui, a abandonné - me suis endormie pendant la messe des pèlerins, ai été incapable de porter mon sac à l'auberge, ai été malade toute la soirée, toussa toussa. Mais face aux touristes bien habillées venus là en avion, ben je me sentais la plus chanceuse du monde, sans rire ^^.

Et je conclus ce post car ma chère et tendre vient me retrouver... ^^